Revenir en Gaspésie – Partie 5 : Convaincre

Revenir en Gaspésie, c’est l’idée qui me trottait dans la tête depuis cette discussion avec mon amie. Vous savez, ce genre d’amie qu’on considère comme une sœur parce que vous la connaissez depuis toujours. Cette amie qui, malgré les kilomètres qui nous séparent physiquement depuis plusieurs années, avait réussi à mettre en mot mes pensées.

J’ai commencé par me questionner intérieurement, afin de comprendre pourquoi je n’étais pas retournée en Gaspésie. Je suis revenue sur mes choix de vie, sur mon parcours académique et professionnel. Je n’étais pas revenue en Gaspésie parce que je n’y sentais pas encore le besoin, j’imagine. J’ai pensé à mon emploi, à ma vie sociale et à ma stabilité à Rimouski. J’ai pensé à ma sœur aussi. Elle qui avait tout quitté à Québec pour me rejoindre. J’ai pensé à tout ça et j’en ai eu une boule dans l’estomac. Est-ce que je restais à Rimouski pour les bonnes raisons? Est-ce que je restais à Rimouski pour moi ou pour ne pas ébranler une vie qui semblait me convenir?

Lorsque nous avions acheté une maison à Rimouski, je semblais m’être faite à l’idée que je ne retournerais pas en Gaspésie. Je m’étais dit que j’avais fait mon deuil. J’avais même écrit un texte sur un ancien blogue à ce sujet. En y repensant, je réalise à quel point je ne voulais tout simplement pas voir l’évidence. Deuil, exil, déracinement, tous ces mots qui en disaient long sur l’état dans lequel je me trouvais. Tous ces mots qui me pointaient vers cette nécessité de revenir un jour. Après tout, je n’étais pas Rimouskoise; j’étais une Gaspésienne établie à Rimouski.

Convaincre son amoureux

En fait, j’étais d’abord et avant tout une maman, avec une famille établie à Rimouski. Je ne pouvais pas prendre cette décision seule. J’ai donc amené l’idée à mon conjoint, dont la réaction initiale a été l’incompréhension. Il faut dire qu’il est beaucoup plus cartésien que moi et qu’il voyait probablement tous les changements qu’apporterait cette décision. À ses quelques interrogations, par contre, j’avais toujours un argument.

Lui : « N’a-t-on pas choisi Rimouski pour la proximité des commerces? »

Moi : « Oui, mais si on ne trouve pas localement, on commande en ligne! »

Lui : « Et tous les choix de restaurants qu’on a … »

Moi : « C’est quand la dernière fois qu’on est allés au restaurant? »

Lui : « Je vais m’éloigner de l’endroit où je dois prendre l’avion pour mon emploi! »

Moi : « Tu m’as toujours dit que le plus bel avantage du fly/fly out, c’était justement de pouvoir habiter n’importe où! »

Lui : « On a acheté la maison il n’y a pas si longtemps! »

Moi : « On voulait se construire au début, on pourrait le faire! Les terrains sont pas mal moins dispendieux! »

Lui : « Mais ton emploi? »

Moi : « … »

C’est vrai que c’était un solide argument, parce que j’aimais mon emploi. Au-delà des tâches, qui correspondaient parfaitement à ma personnalité et qui mettaient de l’avant mes forces, j’avais des collègues de travail formidables. Le genre d’équipe de travail qui te donne envie d’entrer au bureau le lundi matin, même quand tu le sais que le rythme de travail sera aussi fou que soutenu. Ce serait assurément parmi les plus grands deuils à faire. Un choix doux-amer, comme on dit.

Bref, mon conjoint et moi avons changé de sujet et la routine a repris. Il est reparti travailler dans le Nord et nous n’en avons pas reparlé pendant quelque temps. Jusqu’à ce qu’il revienne sur le sujet. Il avait pesé le pour et le contre, avait entendu mes arguments, mais avait surtout compris mon besoin de me rapprocher de ma famille et d’avoir un plus grand entourage pour m’aider lorsqu’il quittait pour travailler. Même si plusieurs sacrifices allaient être nécessaires, il était prêt à me suivre. Une nouvelle fois.

Convaincre sa famille

Est ensuite venu le temps d’en parler à nos familles. Le premier réflexe de mes parents a été celui que je m’attendais : pourquoi revenir? N’allez pas croire que mes parents ne voulaient pas que je revienne, loin de là! Mais j’avais quelque chose qu’ils avaient travaillé toute leur vie pour avoir : la stabilité. Une maison, une famille, un emploi, un fonds de pension. Je sais que j’ai ébranlé leurs convictions lorsque je leur ai dit que j’étais prête à quitter mon emploi de fonctionnaire et à me passer de fonds de pension si cela signifiait être plus heureuse. Je sais qu’ils ont d’abord eu peur.

Puis, ils se sont assurément rappelé qu’il en fallait beaucoup pour me faire changer d’idée lorsque j’étais convaincue. Dès lors, ils nous ont encouragés et soutenus à chacune des étapes de notre démarche. Et ma mère m’a gentiment rappelé qu’elle avait pris exactement la même décision, à l’approche de la trentaine. Perdue à Montréal, elle avait décidé de revenir à ces racines pour y avoir une famille et l’élever, dix ans après avoir quitté la Gaspésie pour la métropole. La pomme ne tombe pas loin de l’arbre, semblerait-il!

Ma belle-famille, pour sa part, nous a appuyés dès le départ. Notre retour en Gaspésie signifiait qu’on se rapprochait énormément d’eux, même si nous avions fait le choix de s’établir dans la Baie-des-Chaleurs plutôt que dans la région de Gaspé, pour différentes raisons qui nous sont propres.

En parler à ma sœur aura assurément été le plus crève-cœur. Je lui demandais presque l’impossible : reviendrait-elle en Gaspésie avec nous? Sa première réponse était claire : non. Elle n’avait pas nécessairement d’attirance à retourner à l’endroit où nous avions été élevées, même si je sais qu’elle y était attachée à sa façon. Je faisais des crises d’angoisse juste à m’imaginer quitter Rimouski sans elle, mais je savais pertinemment qu’elle devait d’abord et avant tout être heureuse où elle s’établirait. Je ne pouvais pas simplement pas lui demander de faire passer mon bonheur avant le sien, pour la simple raison que je voulais l’avoir dans ma vie quotidienne.

Contre toute attente, ma sœur m’est revenue un peu plus tard, à la suite d’une réflexion murie. Elle avait réfléchi à ma démarche et avait compris mes raisons. Elle avait accepté ce besoin que je ressentais d’offrir à mes enfants un autre milieu de vie que celui dans lequel j’étais installée. Elle avait compris ma détresse intérieure et respectait ma décision. Plus encore, elle avait, elle aussi, pris le temps de réfléchir à ce qu’elle souhaitait et était venue à la conclusion qu’elle ne s’imaginait pas vivre loin de nous, loin de son neveu. Que d’être proche de sa famille faisait partie de ses valeurs. Elle était prête à plonger.

À ce moment, je savais que ma décision était devenue irrévocable. Nous allions revenir en Gaspésie. La question qui demeurait : quand?

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Revenir en Gaspésie – Partie 6 : Le saut dans le vide

À lire aussi

Revenir en Gaspésie – Partie 1 : L’exil
Revenir en Gaspésie – Partie 2 : Le déracinement
Revenir en Gaspésie – Partie 3 : Le rapprochement
Revenir en Gaspésie – Partie 4 : La prise de conscience

Cet article a initialement été publié en 2019 sur l’ancien blogue MAMA Gaspésie.