Revenir en Gaspésie – Partie 2 : Le déracinement

Toujours en 2009. Première journée d’université, cours d’initiation à l’écriture journalistique. Je ne connais personne, mais on me demande d’où je viens. La Gaspésie, bien sûr! Elle me manque tellement que je ressens toujours le besoin d’en parler.

Parmi les personnes autour de moi, une fille me demande de quel endroit en Gaspésie. Étonnée qu’une personne s’y intéresse, je réponds « Caplan ». Je me sens obligée d’ajouter : « un petit village entre Carleton et Bonaventure ». « Oh, mais je connais, me répond-elle, ma cousine y a enseigné. Je viens de La Pocatière, ajoute-t-elle, mais je suis née à Rimouski », sent-elle le besoin de préciser. Il n’en fallait pas plus pour les deux filles de l’Est deviennent de grandes amies.

C’est pour des rencontres comme celles-ci que je ne regrette pas d’être allée à Montréal. J’y ai découvert un autre monde et d’autres perspectives. J’y ai agrandi mes horizons, mais je n’arrivais pas à y prendre goût. Même lorsque mon amoureux est venu m’y rejoindre, je ne m’y sentais pas tout à fait à l’aise. Toujours comme un poisson hors de l’eau.

Chaque fin de semaine, nous sortions de l’île pour nous promener aux alentours, là où l’horizon n’était pas teinté de gratte-ciels. Mon amoureux, impuissant, tentait tant bien que mal de m’aider à vaincre cette nostalgie qui s’était installée dans mon cœur. Il a placé des étoiles phosphorescentes pour illuminer le plafond de notre chambre, parce que je m’ennuyais du ciel étoilé. Il a enregistré le son des vagues qui se brisent sur la côte à la plage de Barachois pour que je puisse les écouter avant de m’endormir lorsque je m’ennuyais trop…

Dans le métro, dans les couloirs de l’université, dans la rue en plein milieu de la foule, tout me ramenait à la Gaspésie. En fait, je n’avais probablement jamais été aussi Gaspésienne que perdue au cœur de la métropole. Tous mes sujets de travaux universitaires portaient sur ma région et je suis devenue, malgré moi, défenderesse de l’information régionale. Ma mission : sensibiliser les futurs journalistes aux enjeux qui touchent notre province, en dehors des ponts de l’île de Montréal.

Mauxtréal

Peu à peu, je suis devenue obsédée par ce sentiment d’exil qui m’habitait si intensément. Loin de ma Gaspésie et loin de ma famille, je me sentais étouffée. Pour m’aider, j’écrivais. Des billets de blogue, un peu comme celui-ci, où je parlais de ma vie à Mauxtréal, comme je me plaisais à l’appeler. Par-dessus tout, j’essayais de comprendre. Comprendre pourquoi je n’étais pas heureuse, alors que d’autres l’étaient. J’avais cru que je m’habituerais à cette vie urbaine, celle qu’on nous présentait comme un idéal à atteindre, partout dans les médias autour de nous.

Et puis, j’ai fait une rencontre déterminante, qui m’a permis de comprendre. Qui m’a permis d’enfin mettre les mots sur ce sentiment qui m’habitait quand les larmes me venaient aux yeux lorsque je traversais le pont Jacques-Cartier, assise dans l’autobus voyageur qui me ramenait à Montréal. Parce que chaque occasion était bonne pour retourner en Gaspésie, malgré la distance et mon budget d’étudiante.

Dans le cadre d’un de mes cours, nous devions rencontrer une personnalité québécoise parmi une liste qu’on nous avait présentée. J’avais choisi Antonine Maillet, l’auteure derrière La Sagouine et plusieurs autres romans à saveur acadienne. Parce qu’au-delà de mon amour pour la Gaspésie, j’avais aussi un attachement profond pour l’Acadie. Comme la plupart des gens de la Baie-des-Chaleurs, ma famille est de descendance acadienne. Avec un nom de famille comme le mien, c’est assez facile à déduire d’ailleurs! Bref, j’ai sauté sur l’occasion de rencontrer cette grande dame de lettres, elle qui avait si intensément abordé le sujet de l’exil dans son très célèbre roman Pélagie-la-Charrette.

Par je ne sais quel miracle, j’ai finalement réussi à avoir une entrevue chez elle, à Montréal. Deux heures à discuter de sa vie et de son œuvre. Une chance inouïe pour la jeune étudiante en journalisme que j’étais. En discutant candidement de son rapport envers sa terre natale et Montréal, elle m’a lancé : « J’aime Montréal parce que je ne m’y sens pas prisonnière! », m’expliquant qu’elle retournait au Nouveau-Brunswick dès que l’envie l’en saisissait.

C’est à ce moment que j’ai compris que ma relation avec Montréal était teintée par cette obligation d’y être présente parce que j’y étudiais. J’ai donc pris la seule décision possible : j’allais quitter Montréal dès la fin de mes études. Et je reviendrais vers l’Est.

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Revenir en Gaspésie – Partie 3 : Le rapprochement

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Revenir en Gaspésie – Partie 1 : L’exil

Cet article a initialement été publié en 2019 sur l’ancien blogue MAMA Gaspésie.